Changement climatique et activités socio-économiques

Question générale

Cette thématique de recherche s’intéresse aux contributions respectives du changement climatique et des activités socio-économiques aux modifications de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes , et en quoi ces modifications changent-elles les représentations des sociétés humaines (adaptation versus modification)

Un intérêt particulier sera porté aux impacts du changement climatique et des activités socio-économiques sur l’évolution quantitative et qualitative des eaux souterraines, des eaux de surface et de leurs interactions, et conséquences pour les milieux et pour les sociétés.

Animateurs : C. Delire (CNRM), J. Cucherousset (EDB), J.F. Dejoux (CESBIO) et J.L. Probst (ECOLAB)

Contexte et objectifs

Les évolutions qualitative et quantitative des eaux et des milieux aquatiques de surface et souterrains et de leurs interactions sont aujourd’hui fortement controlées par l’impact du changement climatique (CC) et par les activités socio-économiques (ASE), notamment l’occupation des sols et les pratiques qui se développent sur les bassins versants. Il est souvent difficile de faire la part du CC sensus stricto dans ces évolutions. Néanmoins pour modéliser ces évolutions, établir des scénarios réalistes pour le futur et amener des éléments crédibles en appui aux gestionnaires des milieux, aux décideurs et aux politiques, les scientifiques doivent essayer de bien distinguer la part qui revient au CC de celle qui est attribuable aux ASE.

L’adaptation des milieux aquatiques face à ces changements et les possibilités d’atténuation de ces impacts (GIEC, 2014) ne seront pas les mêmes suivant la nature des impacts (CC dominant, ASE dominant, CC/ASE partagé).

De nombreuses options d’adaptation et d’atténuation peuvent aider à faire face aux changements globaux et régionaux, mais aucune ne saurait suffire à elle seule. Leur efficacité, qui dépend, d’une part, de la nature des changements (CC versus ASE) et, d’autre part, des politiques et des modalités de coopération adoptées à toutes les échelles, peut être renforcée par des mesures intégrées reliant l’adaptation et l’atténuation à d’autres objectifs sociétaux (GIEC, 2014).

Changement climatique

Le GIEC pointe le Sud de l’Europe comme un hot spot du changement climatique. Pour le Sud-Ouest de la France, le «– rapport Jouzel » (Ouzeau et al. 2014) indique un réchauffement de 2 à 4 °C en hiver et de 1 à 5°C en été à la fin du siècle (selon les scénarios et les modèles) par rapport à la moyenne de 1976-2005. Pour les Pyrénées, les projections sont une hausse de 3°C en 2100. La hausse récente dans les Pyrénées est effectivement univoque et significative sur plusieurs stations de référence compilées par l’Observatoire Pyrénéen du Changement Climatique (OPCC). Par contre, les modèles ne s’accordent pas pour prédire le changement des précipitations sur la région, même si une légère baisse est attendue (Majone et al. 2012). Cela signifie toutefois un assèchement généralisé dû à l’augmentation de l’évaporation liée à la hausse des températures. Pour les hauteurs de neige, les tendances sont contrastées sur le versant espagnol (Lopez-Moreno, 2005) et les glaciers pyrénéens sont en train de disparaître. Concernant les extrêmes (Kovats et al. 2014), il faut s’attendre à une augmentation des vagues de chaleur et des périodes sèches en été.

Changement d’occupations des sols

Depuis la fin du 19e siècle et surtout après la 2nde guerre mondiale, les paysages ont considérablement évolué sous la pression de l’urbanisation et de la globalisation (Antrop, 2005). Dans les plaines et coteaux de Gascogne, Lauragais ou de la bordure sud du massif central (Aveyron, Ségala…), les mêmes tendances qu’au niveau national s’observent depuis les années 50 : spécialisation des systèmes de production par zone géographique (séparation des systèmes céréaliers des systèmes avec élevage), agrandissement des parcelles et réduction de la strate arborée (haies…), intensification des pratiques (fertilisation, charge UGB,…). Plus qu’ailleurs en France, ces territoires ont connu un changement radical dans certaines vallées aux sols délicats (limons battants et hydromorphes) : les sols ont été drainés et les prairies ont été remplacées par des cultures d’été (maïs grain principalement) irriguées. Dans les Pyrénées, et plus généralement pour l’ensemble des milieux montagnards, ces changements sont dûs à un abandon des modes d’agriculture traditionnels (i.e. agropastoralisme) et se traduisent par une disparition des milieux prairiaux qui sont progressivement remplacés par des écosystèmes forestiers (Garbarino et al. 2014, Vacquié et al. 2015).

Cet accroissement de la forêt, qui impacte le manteau neigeux en montagne (Szczypta et al. 2015), est amplifié par le changement climatique récent. Cette tendance devrait se poursuivre notamment à des altitudes où la reforestation peut être favorisée par le réchauffement climatique (Theurillat et Guisan, 2001; Beniston, 2003a).

Impacts sur le cycle de l’eau, les cycles biogéochimiques des éléments et les milieux naturels (biodiversité, écosystèmes)

Ces changements globaux (climatiques, occupation du sol) vont se répercuter, directement et indirectement, sur le cycle de l’eau. Un impact direct du réchauffement climatique est la fonte plus précoce du manteau neigeux dans les Pyrénées et donc une réduction du débit des rivières en période d’irrigation (e.g. López-Moreno et al. 2008) et de l’alimentation des nappes souterraines, notamment des réservoirs karstiques dans les pré-Pyrénées et le Massif Central. Le changement de l’occupation des sols induit également des changements profonds bien que plus difficiles à appréhender,  sur le cycle de l’eau et sur les cycles biogéochimiques des éléments : l’expansion récente des forêts aurait augmenté l’évapotranspiration et réduit l’intensité du ruissellement (Gallart and Llorens, 2004; López-Moreno et al., 2011), mais elle aurait aussi augmenté la teneur en carbone des sols et modifié le cycle biogéochimique du carbone et des éléments associés, avec notamment une augmentation de la pCO2 dans les solutions de sols et dans les systèmes karstiques.

Le recul des prairies et le développement des successions céréalières engendrent des impacts à court et long termes, en interaction avec le climat. Dans les coteaux non irrigués, les phases de sols nus d’interculture durent de 6 à 9 mois tous les 2/3 ans (entre les blés et les tournesols); couplés à des labours profonds, ces pratiques conduisent à des phénomènes importants de ruissellement et d’érosion et à une baisse générale de la fertilité de ces sols dont une diminution de la réserve utile. C’est l’ensemble des cycles hydriques (quantité, qualité, période…) et biogéochimiques (azote, carbone…) qui est modifié. Les effets de la variabilité et du changement climatique seront très forts sur les cultures (stress hydriques, rendement, fixation du carbone…) et les milieux (risques érosion/ruissellement selon occurrence d’évènements exceptionnels accrus d’orage sur sols nus…).

Dans les plaines récemment drainées et irriguées, c’est bien sûr le cycle global de l’eau qui est en jeu (disponibilité de la ressource amont – Pyrénées et son utilisation en aval), mais aussi plus localement, via les processus de drainage en période hivernale, ou lors d’excès d’irrigation, avec une qualité de l’eau variable (excès de phytosanitaires ou d’azote…).

Enfin, les impacts des changements de paysage (haies, fragments forestiers…) et d’occupation du sol (diminution des prairies…) sur la biodiversité sont importants mais très variables dans ces territoires, à des échelles spatiales variées. Pour tous ces processus, les impacts et les sensibilités aux changements climatiques peuvent être assez différenciés entre l’amont (encore riche en infrastructures écologiques…) et l’aval (très spécialisé et artificialisé) de certains territoires (Aveyron, Gascogne…).

D’un point de vue hydrologique, les rares études d’impact pour le futur suggèrent une réduction du débit (Delgado et al. 2010), une diminution de la hauteur de neige et une fonte plus répartie sur l’année (Szczypta et al. 2015). En ce qui concerne les cycles biogéochimiques, les études sont assez rares en général et inexistantes pour le moment sur le territoire de la ZA. Il en est de même pour les études relatives aux conséquences de ces changements climatiques et du cycle de l’eau sur les différentes facettes de la biodiversité et les effets sur le fonctionnement des écosystèmes soumis à ces changements. En effet, de tels changements de conditions environnementales vont défavoriser certaines espèces possédant des niches écologiques sensibles aux variations de débits et de températures et potentiellement favoriser des espèces moins sensibles, plus résistantes et adaptées à ces nouvelles conditions telles que certaines espèces exotiques envahissantes. Ces modifications importantes des caractéristiques des populations naturelles et de structures de communautés animales et végétales, en addition des modifications du cycle de l’eau et des flux de nutriments et d’énergie, vont altérer le fonctionnement des écosystèmes.

Bien comprendre les impacts de tous ces changements (CC et ASE) sur les milieux est une clef d’entrée indispensable pour évaluer leur capacité d’adaptation et les possibilités d’atténuation de ces impacts. Les suivis à long terme de leurs évolutions sont des éléments nécessaires pour bien définir les catactéristiques des trajectoires d’adaptation et améliorer l’efficacité des mesures à prendre.

Problématique sur le bassin de la Garonne

Les massifs montagneux du territoire de la ZA, Massif Central et Pyrénées, sont, grâce aux précipitations (pluies et neige), les zones de recharge des aquifères souterrains situés au pied de ces massifs.  Ils alimentent les débits des rivières qui sont exploités pour la production hydroélectrique et l’irrigation des zones agricoles situées en aval. La gestion des barrages influence le régime hydrologique et thermique des rivières. En aval des Pyrénées, l’eau est largement utilisée pour l’agriculture et la production hydro-électrique si bien que ce bassin connaît un déficit structurel entre les ressources disponibles, les besoins anthropiques et ceux des organismes et des écosystèmes aquatiques (Dupeyrat et al. 2008, Martin et al. 2016). L’évolution paysagère de ces zones montagneuses de recharge, voire de stockage temporaire de l’eau sous forme de neige et de glaciers, ainsi que l’évolution dans les plaines des cultures et des surfaces irriguées joueront un rôle clé dans le bilan hydrologique à cette échelle en parallèle du changement climatique. La gestion des étiages estivaux est un exemple d’interaction forte entre le monde socio-économique et la ressource (Mazzega et al. 2014).

Les relations qui existent entre les réservoirs souterrains qui alimentent les sources et soutiennent les débits des rivières en étiage sont très mal connues à l’échelle régionale, comme celle du territoire de la ZA. Ces relations sont et seront de plus en plus  impactées par le changement climatique et par l’évolution des paysages et des pratiques, mais aussi par les usages. Comme ces pressions environnementales ont lieu à des échelles de temps similaires, l’évaluation réaliste de l’évolution au cours du 21e siècle des ressources en eau (souterraines et de surface) et des interactions eaux de surface-eaux souterraines passe par une approche pluridisciplinaire qui fera appel aux compétences et expertises des différents laboratoires impliqués dans cette ZA afin de:

– déterminer les contributions de chaque forçage (climat, occupation des sols, pratiques humaines et usages) aux évolutions observées

– comprendre et quantifier les effets de ces forçages sur les patrons de biodiversité et des processus fonctionnels se déroulant dans les écosystèmes

– générer des scénarios complets et réalistes pour faire des projections (adaptation versus atténuation) à l’aide de modèles

– aider Agences et Services de l’Etat dans la gestion durable des milieux et venir en appui aux politiques publiques en matière d’aménagement durable des territoires.

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